Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire

Conseil des droits de l’homme

Vingt-septième session

Point 3 de l’ordre du jour

Promotion et protection de tous les droits de l’homme,

civils, politiques, économiques, sociaux et culturels,

y compris le droit au développement

Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire

Additif

Mission au Maroc***

Resumé
          Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a effectué une visite au Maroc du 9 au 18 décembre 2013.
Au cours de sa visite, le Groupe de travail a pu observer les efforts entrepris par le Gouvernement pour établir et consolider une culture des droits de l’homme au Maroc. Le Groupe apprécie que le vaste processus de réformes structurelles se soit poursuivi après sa visite.
Le Groupe de travail se félicite de l’adoption de la Constitution en juillet 2011, marquant un pas important vers le renforcement des droits de l’homme, et de la création du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) comme institution nationale indépendante chargée de la protection et la promotion des droits de l’homme.
Dans les cas touchant à la sûreté de l’État (terrorisme, appartenance à des mouvements islamistes, ou appui à l’indépendance du Sahara occidental), le Groupe de travail a constaté une pratique de la torture et des mauvais traitements au moment de l’arrestation et pendant la détention de la part de policiers, notamment d’agents de la Direction générale de la surveillance du territoire (DST). De nombreuses personnes ont été contraintes à faire des aveux et condamnées à des peines d’emprisonnement sur la foi de ces aveux.
Alors que l’article 23 de la Constitution prévoit expressément que la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée sont des crimes de la plus grande gravité, et tout en notant les mesures prises pour lutter contre ces pratiques, le Groupe de travail a reçu des allégations émanant de sources considérées comme crédibles concernant des cas passés et présents de détention au secret qui justifieraient une enquête plus approfondie. Le Groupe de travail a également reçu des allégations selon lesquelles le Maroc aurait servi de point d’origine, de transit et de destination à des «transfèrements secrets» opérés dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme.
Le Groupe de travail a également reçu des allégations concernant l’augmentation des arrestations massives et de la violence de la part des forces de sécurité contre les migrants et les demandeurs d’asile, en particulier dans le nord du pays.
En dépit des dispositions législatives garantissant l’accès à un avocat dans les vingt-quatre heures qui suivent l’arrestation dans les affaires pénales de droit commun, cette règle ne semble pas être pleinement appliquée dans la pratique. En outre, l’autorisation doit être obtenue du procureur général du Roi. Le Groupe de travail constate que la loi relative à la lutte contre le terrorisme (no 03-03) prévoit que la durée de la garde à vue est fixée à quatre-vingt-seize heures renouvelables deux fois sans droit à un avocat, à l’exception d’un entretien d’une demi-heure surveillé qui peut se produire à la moitié de ces douze jours.
Le Groupe de travail note que le système judiciaire marocain repose largement sur les aveux en tant que principale source de preuve à conviction. Conformément au droit international, l’article 293 du Code de procédure pénale prévoit que de tout aveu ou déclaration faits sous la contrainte sont irrecevables. Des plaintes indiquent toutefois que la torture est utilisée par les agents de l’État pour obtenir des preuves ou des aveux pendant la phase initiale des interrogatoires, en particulier dans les affaires de terrorisme ou touchant la sécurité nationale.
Le Groupe note également l’utilisation excessive de la détention préventive. Au niveau général, la détention comme mesure de punition semble toujours être la règle plutôt que l’exception. Il y a un manque d’alternatives à la détention. Le surpeuplement carcéral comme une conséquence de cette situation est un problème grave qui doit être traité.
Bien que l’article 460 du Code de procédure pénale dispose que l’officier de police judiciaire chargé des mineurs peut placer un mineur dans un lieu de détention réservé aux personnes de cette catégorie d’âge, le Groupe de travail a constaté la présence d’un nombre significatif d’enfants, dès l’âge de 14 ans, dans des prisons ordinaires. Les rapports indiquent que le parquet général réclame rarement les mesures de remplacement de la détention prévues aux articles 501 à 504 du Code de procédure pénale. En outre, les mineurs restent souvent en détention pendant de longues périodes avant d’être transférés dans un centre de protection de l’enfance.
En ce qui concerne Laâyoune, au Sahara occidental, le Groupe de travail a reçu de nombreuses plaintes de détention arbitraire et indiquant que la torture et des mauvais traitements étaient utilisés pour arracher des aveux. Le Groupe a aussi reçu des plaintes faisant état d’un usage excessif systématique de la force pour réprimer les manifestations et arrêter les manifestants en faveur de l’autodétermination de la population sahraouie.
À la fin du rapport, le Groupe de travail formule un certain nombre de recommandations principales au Gouvernement.


 

 

 

 

Laâyoune, Sahara occidental

  1. Le Groupe de travail a reçu de nombreux témoignages et communications relatifs au sujet du statut juridique et politique du territoire ainsi que des plaintes concernant un vaste éventail de violations des droits de l’homme autres que la détention arbitraire. Il a également reçu plusieurs demandes d’entretien et des communications écrites sur des questions relevant de son mandat. Conformément aux termes de référence du mandat, le présent rapport ne traite pas des allégations de violations des droits de l’homme autres que la détention arbitraire et n’aborde pas non plus de questions relatives au statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome.
  2. S’agissant des questions relevant de son mandat, le Groupe de travail a constaté que la torture et les mauvais traitements étaient pratiqués pour arracher des aveux et que les agents de la force publique faisaient un usage excessif de la force à l’égard des manifestants. Les témoignages reçus indiquent que les membres de la population sahraouie sont spécifiquement victimes de telles violations, sans qu’ils soient les seuls à l’être.
  3. Le Groupe de travail a reçu de nombreuses plaintes faisant état d’un usage excessif systématique de la force pour réprimer les manifestations et arrêter les manifestants ou les personnes soupçonnées de participer à des manifestations en faveur de l’autodétermination de la population sahraouie. Lors de leur conduite ou à leur arrivée au poste de police, les personnes arrêtées sont battues et insultées et contraintes de révéler les noms d’autres manifestants. Le Groupe de travail tient à exprimer sa préoccupation au sujet de l’abandon présumé des victimes en milieu rural après qu’elles eurent subi ces violences. Selon certaines informations, ces pratiques visent à punir et à intimider les manifestants en vue d’empêcher d’autres actions de soutien à la revendication de l’indépendance. Parfois, les manifestations deviennent violentes et les forces de sécurité sont attaquées par les manifestants. Même dans de tels cas, il incombe aux agents de la force publique de maintenir l’ordre sans violence excessive.
  4. D’autres allégations indiquent que les forces de police marocaines font régulièrement irruption chez des partisans présumés ou connus de l’indépendance du Sahara occidental, opérations durant lesquelles des habitants sont battus ou maltraités.
  5. Le Groupe de travail a visité la prison de Laâyoune et le poste de la gendarmerie du port de Laâyoune. Au moment de la visite du Groupe de travail, il y avait 368 prisonniers dans la prison de Laâyoune, dont 36 mineurs. Bien que le Groupe de travail ait été autorisé à s’entretenir en privé avec les détenus de son choix dans les deux établissements, sans aucune restriction, le Groupe de travail a constaté avec une vive préoccupation que certaines des personnes interrogées ont exprimé la crainte de représailles après avoir parlé à la délégation.
  6. Le Groupe de travail regrette que ses rencontres avec la société civile à Laâyoune aient été surveillées.
  7. En ce qui concerne les circonstances de la fermeture du camp de Gdeim Izik en novembre 2010, le Groupe de travail a été informé que 25 civils sahraouis ont été jugés par un tribunal militaire pour leur rôle présumé dans des affrontements violents qui s’étaient produits au Sahara occidental. Le Groupe de travail a rencontré 22 de ces détenus dans la prison de Salé 1[1]. Il a reçu des témoignages faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements ainsi que de la détérioration de l’état de santé de certains détenus en raison des conditions carcérales. Le procès a été plusieurs fois reporté sans que le tribunal donne d’explications. Le 17 février 2013, le tribunal militaire a rendu son verdict rejetant toutes les demandes d’enquêtes concernant les allégations de torture et refusant d’ordonner des examens médicaux en lien avec les allégations de viol formulées par plusieurs défenseurs: il n’a pas rendu de jugement par écrit. Le Groupe de travail note avec préoccupation que les allégations de torture et de mauvais traitements pendant la période de presque deux ans qui a précédé les procès n’ont fait l’objet d’aucune enquête. Le fait que l’affaire soit devant un tribunal militaire plutôt que civil contribue au manque de transparence et au refus d’enquêter sur les allégations de mauvais traitements.
  8. Le Groupe de travail a par la suite été informé qu’un certain nombre de détenus dans le groupe de Gdeim Izik ont commencé des grèves de la faim et que leurs conditions de santé se sont encore détériorées.
  9. Le Groupe de travail tient à exprimer sa préoccupation au sujet de la vaste compétence du tribunal militaire, qui peut juger des civils accusés de terrorisme, de possession illégale d’arme à feu, et ainsi de suite. Ces tribunaux sont composés de juges militaires, de procureurs et de défenseurs militaires, à l’exception du président du tribunal. Selon les informations dont dispose le Groupe de travail, il n’est pas possible de faire appel des décisions de ce tribunal. Toutefois, le Gouvernement a par la suite affirmé que le tribunal militaire n’est pas la juridiction compétente en ce qui concerne les affaires de terrorisme; le Gouvernement a également ajouté que les décisions du tribunal militaire peuvent être portées en cassation. La clarification de la pratique à cet égard sera donc un sujet pour le processus de suivi de la visite.
  10. Le Groupe de travail rappelle que la compétence du tribunal militaire doit être exclusivement limitée aux militaires et aux infractions militaires. À cet égard, le Groupe de travail note que le projet de loi sur les tribunaux militaires a été adopté en mars 2014 en Conseil des ministres présidé par le Roi Mohamed VI. Le projet de loi prévoit l’exclusion des civils de la compétence des tribunaux militaires, quelle que soit l’infraction commise. Il permet également le retrait du personnel militaire des juridictions militaires quand ils commettent des délits de droit commun. Le projet de loi (no 108-13) est actuellement devant le Parlement pour adoption.

 

 

VI.    Conclusions

 

  1.          À Laâyoune, au Sahara occidental, le Groupe de travail a reçu de nombreuses plaintes indiquant que la torture et les mauvais traitements ont été utilisés pour obtenir des aveux ainsi que les plaintes indiquant l’usage d’un recours excessif à la force dans la répression des manifestations en faveur de l’autodétermination de la population sahraouie.
  2. Enfin, le Groupe de travail regrette que ses rencontres avec la société civile à Laâyoune aient été surveilleées.

 

     VII.        Recommandations

 

 

y)     En ce qui concerne Laâyoune, au Sahara occidental, enquêter rapidement sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements dans le cadre d’arrestations, pendant et après les manifestations ainsi qu’à la prison de Laâyoune; éviter les cas de privation de liberté arbitraire; tenir les auteurs responsables et indemniser les victimes;

z)     Adopter rapidement le projet de loi sur les tribunaux militaires afin de s’assurer que les civils ne soient pas condamnés par un tribunal militaire et d’examiner les jugements rendus par le tribunal militaire dans le cas des 25 personnes sahraouies du camp de Gdeim Izik.

 


                    *   Le Groupe de travail a également visité Laâyoune, au Sahara occidental, les 15 et 16 décembre 2013. Il s’y est rendu en tant que titulaire de mandat indépendant et sa visite ne devrait pas être interprétée comme l’expression d’une quelconque opinion politique concernant le statut actuel ou futur du territoire non autonome du Sahara occidental. Le droit à l’autodétermination s’applique au territoire en vertu des principes énoncés dans les résolutions 1514 (XV) et 1541 (XV) de l’Assemblée générale.

                  **   Le résumé du présent rapport est distribué dans toutes les langues officielles. Le rapport proprement dit, qui est joint en annexe, est distribué dans la langue originale et anglaise seulement.

                           [1]   Le Groupe de travail a été informé que deux des 25 civils sahraouis avaient été libérés et une troisième personne transférée à un hôpital local.